Pacte Dutreil : l’appréciation de l’éligibilité en cas d’activité mixte

Les professionnels et les contribuables concernés par cette problématique se souviennent assurément de l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 14 octobre 2020 (n°18-17.955) par lequel elle s’était ralliée à la position du Conseil d’Etat (arrêt du 23 janvier 2020, n°43556) quant à l’appréciation de la prépondérance de l’activité éligible. Ces arrêts avaient censuré sur ce point la position doctrinale de l’Administration fiscale.

Par un arrêt du 25 janvier 2023 (n°20-23.137), la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que la prépondérance de l’activité éligible s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

Dans cette dernière affaire, la Cour d’appel de Versailles, saisie sur renvoi, vient de rendre sa décision quant aux modalités d’appréciation de l’activité éligible (CA Versailles, 12 mars 2024, 23/01551).

Il s’agissait d’une société déployant des activités de double nature : (i) une activité de galerie d’art, d’éditions de livres, d’expertises d’œuvres et de promotion d’artistes (i.e., de nature commerciale) et une activité de location de son patrimoine immobilier (i.e., de nature civile).

Si la question générale était de savoir si l’activité commerciale était prépondérante et entraînait par suite l’application du régime de faveur Dutreil (i.e., abattement de 75 % sur la valeur des titres transmis pour le calcul des droits de mutation), nous attendions avec attention la mise en œuvre concrète de la méthode du faisceau d’indices.

  • Quels sont les critères dénués de pertinence selon la Cour d’Appel ?
  • Le caractère historique de l’activité de la société : le contribuable souhaitait voir le contexte et l’histoire de la société pris en compte au titre des éléments à retenir. En effet, la société Bernheim a été fondée au XVIIIème siècle pour exploiter une galerie d’art. Elle a connu son apogée au XIXème siècle avec la vente d’œuvres de grands artistes tels que Bonnard, Cézanne, Van Gogh, Pissaro ou encore Lautrec. La société a acquis, en décembre 1924, l’immeuble avenue Matignon à Paris où elle a emménagé ses activités. Cette ascension a pris fin en 1941 quand l’activité a été interdite, l’immeuble et ses stocks vendus dans des conditions désastreuses et la plupart des œuvres spoliées en raison des lois antisémites de l’époque. La société a pu recouvrer la propriété de l’immeuble en 1946, alors largement occupé par des locataires, et ce sont les revenus locatifs qui ont permis de relancer l’activité commerciale de la société.

La Cour refuse toutefois de valider ce critère au motif qu’il convient de déterminer le caractère prépondérant de l’activité éligible de la société au moment du fait générateur de l’impôt et qui correspond ici à la déclaration de succession (2013). C’est donc sur les années immédiatement antérieures à 2013 qu’il convient de se focaliser.

  • De façon sans doute plus surprenante, la Cour refuse également de prendre en considération l’affectation du personnel à l’activité commerciale. La Cour fait sur ce point sienne la position de l’Administration fiscale estimant que la gestion de l’activité locative « par nature stable et peu chronophage » a été confiée à un tiers. Pour autant, il nous semble important de prendre en considération le fait que la société employait du personnel exclusivement dédié à l’activité commerciale.
  • Sans surprise cette fois, les juges rejettent le critère du taux d’actif immobilisé. En effet, ainsi que précédemment jugé par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, l’inscription comptable d’un bien au rang des actifs immobilisés d’une société n’a pas de lien avec son affectation professionnelle ou patrimoniale.
  • Enfin, dernier critère jugé non pertinent, l’affectation des recettes à l’activité commerciale. Les juges d’appel refusent d’analyser l’affectation que la société fait de ses recettes. L’idée pour le contribuable était de faire valoir que la majeure partie des recettes dégagées était affectée à l’activité commerciale. Néanmoins, la Cour estime qu’il s’agit là d’un choix de gestion qui n’est pas de nature à démontrer que l’activité commerciale est l’activité prépondérante de la société. 
  • Quels sont alors les critères à retenir ?
  • La Cour d’appel estime tout d’abord que les critères de la valeur vénale des actifs et de la surface de l’immeuble affectées à l’activité commerciale occupent « une place déterminante » dans l’analyse.

En l’espèce, l’immeuble litigieux constitue le principal actif de la société Bernheim dont la valeur vénale avait été fixée à environ 38 M€ d’après une estimation immobilière. Or, il ressort des éléments que la valeur des locaux dédiés à l’activité commerciale est estimée à 11M€ et que la valeur des locaux loués à 27M€.

Par ailleurs, la surface dédiée à l’activité commerciale représente 46,68 % de la surface totale de l’immeuble, le reste (53,32 %) étant affecté à l’activité civile

Pour déterminer la valeur vénale de l’actif de la société affecté à l’activité commerciale, la Cour d’Appel prend également en compte la valeur comptable de ses autres actifs qui s’élevait à 3M€ (dont 500k€ de stock de marchandises). Il est permis de s’interroger sur le recours à la valeur comptable des actifs en cause qui nous semble contestable. La cohérence aurait sans doute voulu que l’on retienne la valeur réelle desdits actifs.

La mise en œuvre de ces critères démontre le caractère minoritaire de l’activité commerciale dans la valeur vénale de l’actif brut total de la société Bernheim.

  • Dernier critère retenu, le chiffre d’affaires tiré de l’activité commerciale. Ce critère est jugé pertinent au motif qu’il exprime en flux quantifiés l’activité de la société juste antérieurement au fait générateur de l’impôt.  Appliqué à l’espèce, il en ressort que la vente de marchandises a été, entre 2009 et 2013, largement inférieure à la perception des loyers, que le résultat d’exploitation de l’activité commerciale a été chaque année déficitaire et, en tout état de cause, inférieur au résultat d’exploitation de l’activité locative civile.

Si la Cour d’appel refuse de considérer l’affectation des recettes, elle fait en revanche du critère de l’origine de celles-ci un élément déterminant pour l’appréciation de la nature de l’activité considérée.

En conclusion, force est d’admettre que peu de place a été laissée aux critères autres que ceux initialement retenus par l’Administration fiscale dans sa doctrine pourtant jugée illégale. Dans tous les cas, si l’on peut ne pas partager l’ensemble de l’analyse déployée par le juge, relevons tout de même l’effort dans la didactique posée.

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